jeudi 27 juin 2013

 PLONGÉE


« Lorsque tu joues pendant des heures en essayant de t'accorder à la perfection sur divers intervalles, il arrive qu'il y ait dix minutes au cours de ces quatre heures pendant lesquelles tout le monde est juste. Tu sens alors le monde s'élever. Tu entends ce monde cristallin prendre forme dans les harmoniques. Lorsque certains sont légèrement à côté, tu obtiens ces combinaisons de tons qui luttent pour atteindre le même niveau, et c'est alors un monde d'un éclat argenté incroyable qui se déploie. Certaines musiques ne sont pas enregistrables. »
Jon Hassell.

mardi 25 juin 2013

TEMPLE DU COSMOS

Inspiration Moebius et du conte La mort d'Odjigh du trop peu célèbre Marcel Schwob.


dimanche 16 juin 2013


Lolita   

Ma digne et tendre,
Ma furtive, mon antre,


Ma petite fille sucrée, le vice s'éprend de nous!

Tes petites mains aux ailes innocentes
Divaguent lentement au tambour de mon être
« Je veux vivre et ne plus être absente,
Approche toi encore, penche sur ma fenêtre
» 

Ma chair mêlée à ton corps étendu
Affaisse notre lit alourdit de nos flancs.
Collé à ta peau neuve si bien tendue
Je crois écorcher vif un tissu de soie blanc


  Lisses et si pures, vierges de tout drapée

Tes courbes imprégnées d'immaculées splendeurs  
Sur des monts de neige doucement escarpés
Exhalent en silence le parfum des candeurs 

 
Lolita,


Ma douce enfant que la passion taraude 
 Mon Graal, ma relique, ma chair polie des Dieux
Tes globes scintillant d'émeraudes
 Déposent en moi l'extase de leurs airs victorieux!

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jeudi 6 juin 2013

La musique chez les Amérindiens par J.M.G Le Clézio


« Entre le bruit des flûtes indiennes et le langage articulé il y a le chant. Mais pour l'Indien, le chant est encore une autre forme de silence. C'est un langage dénaturé, incompréhensible par la distorsion des mots, le timbre, l'intensité de la voix, par la syncope, le rythme, le geste vocal. De même qu'il ignore la musique harmonique, l'Indien ne connait pas la mélodie. Elle ne l'intéresse pas dans le chant. Il n'a pas le gout pour cela. Ses chansons, il ne les veut pas belles, il se moque bien de l'air. Impossible de siffler ces chants-là, ils n'ont pas de mémoire.
Psalmodie plutôt, répétition continuelle de la même phrase musicale, comme s'il n'y avait qu'un chant possible, une seule musique. Pour l'Indien, le chant n'est pas une distraction ni une décoration. Comme le langage, comme les signes de la peinture, comme le chant de l'oiseau serpentaire, du martin pêcheur, de l'épervier, du troglodyte, le chant de l'homme est seul et unique. Il est son identité, son slogan, son emblème. A quoi bon varier? A quoi bon inventer des airs nouveaux? L'Indien est délibérément étranger à cette compétition, à ce commerce. 
 Le chant de l'homme est venu directement des profondeurs du passé, il a traversé le temps sans métamorphose, sans altération. Il est venu comme sont venus les dons de la parole, les dons de la chasse, de la peinture, de la magie curative, de la sculpture des bois, de la vannerie. Certains détails ont pu changer, siècle après siècle. Mais c'est sans importance. Il n'existe qu'un seul chant. Il n'existe qu'une seule voix: c'est peut-être cela le plus mystérieux du chant indien. Lorsque l'indien chante, il abandonne sa propre voix et emprunte une voix nouvelle, étrangère. Il fait cela très facilement, haussant simplement sa voix jusqu'à la limite du possible, c'est-à-dire dans le falsetto. Le spasme de la gorge qui produit ce son suraigu, frêle murmure plutôt que voix, est le signe même du chant. En deçà de ce seuil, on n'est plus dans le chant (trianbi), mais dans la parole (phedda); au delà, on est dans le cri (biavi).
Hommes, femmes, enfants chantent avec la même voix, sans qu'il soit possible de les distinguer. Le chant n'a pas le même véhicule que la parole. Il utilise la voix brisée, méconnaissable. »





Hai, p 65-66,



dimanche 2 juin 2013

Musique et songes par Le chevalier Gluck de Hoffmann




« Ah ! comment serait-il possible d'indiquer seulement les mille manières dont on arrive à composer ? C'est une large route, où la foule se presse, en s'agitant et en criant : Nous sommes élus ! nous sommes au but ! ― On arrive par une porte d'ivoire dans le royaume des rêveries. Il est peu d'hommes qui aient vu cette porte une seule fois ; il en est moins encore qui l'aient franchie ! ― Là tout est merveilleux ; de folles images flottent ça et là ; il en est de sublimes ; mais on ne les trouve qu'au-delà des portes d'ivoire. Il est encore plus difficile de sortir de cet empire. On y vogue, on y tourne, on y tourbillonne. Beaucoup de ces voyageurs oublient leur rêve dans le pays des rêves ; ils deviennent eux-mêmes des ombres au milieu de tous ces brouillards. Quelques-uns s'éveillent et sentent ; ils s'élèvent, et gravissent ces cimes mobiles : enfin ils arrivent à la vérité ! Le moment est venu ; ils touchent à ce qui est éternel, à ce qui est indicible ! ― Voyez ce soleil ; c'est le diapason d'où les accords, semblables à des astres, vous plongent et vous enveloppent dans des flots de lumière. Des langes de feu vous environnent, et vous garrottent comme un nouveau-né, jusqu'à ce que Psyché vous dégage et vous entraîne au séjour de l'harmonie.
A ces derniers mots, il se dressa sur ses pieds, et leva les yeux vers le ciel ; puis il se remit à sa place, et vida son verre, que j'avais rempli. Nous étions seuls, un silence profond régnait autour de nous, et je me serais gardé de le rompre, de crainte de troubler les méditations de cet homme extraordinaire. Enfin il reprit la parole, mais avec plus de calme.
— Quand je pénétrai dans ce vaste champ, j'étais poursuivi par mille anxiétés, par mille douleurs. Il était nuit, et des masques grimaçants venaient m'effrayer et s'accroupir autour de moi ; des spectres m'entraînaient jusqu'au fond des mers, et du même trait, me ramenaient dans les plaines lumineuses du ciel. Tout redevenait ténèbres, et des éclairs perçaient la nuit, et ces éclairs étaient des tons d'une pureté admirable, qui me berçaient doucement. ― Je me réveillai, et je vis un œil vaste et limpide ; qui plongeait son regard dans une orgue ; et chaque fois que son éclatant rayon visuel colorait une des touches, il en sortait des accords magnifiques, tels que je n'en avais jamais ouïs. Des flots de mélodie débordaient de toutes parts, et moi, je nageais délicieusement dans ce frais torrent, qui menaçait de m'engloutir. L’œil se dirigea vers moi, et me soutint à la surface des ondes écumantes. Les ténèbres revinrent. Alors deux géants, couverts d'armures brillantes, m'apparurent : c'étaient la basse fondamentale et la quinte. Ils m'entraînèrent de nouveau dans l'abîme ; mais l'œil me souriait : Je sais, dit-il, que ton cœur est animé de désirs ; la douce tierce va venir pour toi se placer entre ces deux colosses ; tu entendras sa voix légère, et tu me reverras avec le cortège de mes mélodies. II se tut.
— Et vous revîtes cet œil divin ?
― Oui, je le revis. Je me retrouvai dans le pays des songes. J'étais dans un vallon ravissant ; et les fleurs y chantaient ensemble. Un tournesol gardait seul le silence, et inclinait tristement vers la terre son calice fermé. Un attrait irrésistible m'entraînait vers lui. ― Il releva sa tête. ― Le calice se rouvrit, et, du milieu de ses feuilles, je vis apparaître l’œil dont les regards étaient tournés vers moi. Alors s'échappèrent de mon front des sons harmonieux qui se répandaient au milieu des fleurs et semblaient les raviver ; elles les aspiraient en frémissant, comme une pluie bienfaisante qui vient après une longue sécheresse. Des vapeurs odorantes s'élevèrent du milieu des fleurs, et me plongèrent dans l'ivresse ; les feuilles du calice s'élevèrent au-dessus de ma tête, et je perdis mes sens. »


Le Chevalier Gluck, Extrait du conte d'Ernest Theodor Amadeus Hoffmann.